Entre recherche et politique, le conseil scientifique est une passerelle concrète et active essentielle qui fait passer la science des laboratoires au cœur de l’agora, à disposition du politique comme du citoyen. Au Canada, cette dynamique prend une dimension particulière en raison du partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces. Qui de mieux pour en parler que la conseillère scientifique en chef du Canada elle-même ? La Dre Mona Nemer à laquelle le gouvernement a renouvelé sa confiance, en septembre 2024 pour la troisième fois, nous a fait l’honneur de partager son expérience, à l’occasion de notre webinaire qui s’est déroulé le 7 mai. Retour sur cet échange mené par Nathalie de Marcellis-Warin, experte en gouvernance de l’innovation et responsable de l’axe « Communauté de pratiques et transfert des connaissances » du RFICS.
Créé en 2017 par la volonté du gouvernement canadien, le poste de Conseiller/ère scientifique en chef est une véritable innovation qui a permis de structurer, normaliser et donner une place concrète à la science dans ce qu’elle peut servir le politique. Nommée par décret à la suite d’un concours national, appuyée par le ministère de l’Innovation, de la Science et du Développement Économique, mais se rapportant directement au premier ministre et au ministre de l’Industrie, la conseillère scientifique en chef éclaire le pouvoir exécutif sur les enjeux d’actualité touchant la recherche et le savoir scientifique. Comme elle l’a expliqué, son bureau se compose de 25 employés bilingues disposant d’expertise scientifique et de compétences en administration publique, de chercheurs en résidence, de conseillers scientifiques ministériels et d’un conseil jeunesse renouvelé tous les 2 ans.
Ainsi, soutenue par cette équipe, son mandat recouvre de nombreuses missions : s’assurer de l’excellence de la science, de son accessibilité à l’ensemble de la population canadienne. Également, améliorer la prise de décision en veillant à ce que la décision s’appuie sur des faits probants. Enfin, favoriser la coordination de la science et la collaboration à l’intérieur du Canada et à l’international.
Interaction, collaboration et indépendance de l’action de conseil
Mona Nemer a aussi précisé que son bureau n’est ni une agence de subvention de la recherche, ni une unité de lobbyisme, ni encore un organe de contrôle parlementaire. Le conseil est au cœur de sa mission car, a-t-elle rappelé, « il faut que le conseiller scientifique reste un interlocuteur neutre, capable de fournir des avis objectifs qui ne sont pas colorés par des appartenances à telle ou telle communauté, et donc garder la confiance du gouvernement ainsi que celle du public. »
Ainsi, elle-même, mais son bureau de manière générale, travaille en collaboration avec le cabinet du Premier ministre et le bureau du Conseil privé mais aussi les autres cabinets ministériels et les sous-ministres. Elle peut également être invitée à donner son avis, témoigner devant les comités parlementaires tels qu’auprès du comité sur la Science et la Recherche lorsqu’il s’est penché sur les questions de science citoyenne, de science en français, du cadre de financement de l’écosystème de recherche ; auprès également d’autres comités comme le comité permanent de l’Industrie, des Sciences et de la Technologie, les comités de Santé, de Pêches et Océans etc.
Si des avis peuvent être donnés à la demande de l’exécutif, d’autres sont aussi formulés de manière proactive pour porter la voix de la science dans la prise de décision, ou pour améliorer la recherche et l’innovation, ou encore lorsque des opportunités se présentent et doivent être saisies, comme l’association du Canada au programme Horizon Europe, l’intelligence artificielle, les technologies quantiques.
Ces conseils peuvent prendre 3 formes : des notes de breffage, des rapports, des comptes-rendus de tables rondes… pour lesquels la conseillère scientifique en chef réunit souvent des comités d’experts et prend appui sur des études rigoureuses, solides, représentatives et contextualisées. Mona Nemer a précisé qu’elle réunit ces comités en s’assurant « d’avoir vraiment une diversité, non seulement de domaines, de genre, une diversité de représentation à travers le Canada et à l’international mais également une diversité, une pluralité de points de vue parce que souvent il s’agit de domaines controversés […] c’est très important d’écouter tout le monde. »
Le Bureau de la conseillère scientifique en chef (BCSC) fournit aussi des avis écrits non-publics car selon certains sujets plus politisés que d’autres, le politique ne souhaite pas que tout soit rendu public et il est, selon la Dre Mona Nemer, important qu’il y ait cette relation de confiance avec les politiciens. Enfin, la Conseillère scientifique en chef prodigue aussi des conseils oraux lorsque l’exécutif a besoin d’avis rapides, souvent à la suite de rapports qui nécessitent des explications, des clarifications.
Le conseil scientifique en situation de crise : le cas de la Covid-19
En contexte de crise nationale le rôle du BCSC devient particulièrement important car l’ensemble du gouvernement et de ses ministères sont mobilisés. Notre intervenante a aussi rappelé que malgré la création du poste de conseiller/ère scientifique en chef, ces derniers continuent à recevoir des avis extérieurs. Et à plus forte raison durant la pandémie de Covid-19. Son rôle a donc été de coordonner, de départager les avis et d’intégrer ou encore d’agréger les divers éléments (les questions de santé avec les sujets plus sociétaux, par exemple). Il a été essentiel que l’ensemble des ministères soient informés des avis scientifiques touchant toutes les considérations liées à la situation.
Pour ce faire, la Conseillère scientifique en chef a mis sur pied un comité multidisciplinaire mêlant sciences de la santé mais aussi sciences sociales et sciences du risque ainsi que des comités et sous-comités spécialisés pour aborder des thèmes spécifiques. Ce sont plus de 200 experts bénévoles qui ont été mobilisés et de nombreux rapports qui ont été utiles au gouvernement (le Covid-19 et les enfants, le rôle des bioaérosols, les effets secondaires des vaccins sur le cœur, le syndrome post-covid…). La Dre Mona Nemer a elle-même participé à des comités ministériels d’experts (vaccins, immunité, thérapeutiques) et à des réunions ministérielles.
La conseillère scientifique en chef a particulièrement souligné le très grand travail de collaboration entre les experts eux-mêmes mais aussi entre scientifiques et membres du gouvernement. Cela a été non seulement une expérience formatrice pour tous mais aussi une période qui a renforcé la confiance : « jusque-là, la communauté scientifique était perçue plus comme un groupe d’intérêts qui demandait toujours plus de fonds, plus de moyens etc. Mais là il y a eu vraiment un travail d’équipe qui s’est fait et je crois que ça, c’est aussi très important. »
Coordination et perspectives pour le BCSC
La Dre Mona Nemer a insisté sur l’important travail de coordination horizontal de la science qui est mené. Cela passe notamment par une politique d’intégrité, mise en place dès 2018, pour une « recherche scientifique responsable » et qui a permis de définir les attentes et obligations du mandant, ici le gouvernement fédéral, mais aussi ceux des scientifiques eux-mêmes. Aussi, un atelier pour la science ouverte a permis l’élaboration d’une feuille de route en 2020. En outre, en 2024, le gouvernement a créé une plateforme web de dépôt de publications scientifiques pour les ministères à vocation scientifiques. Cette coordination est essentielle notamment car, pour informer la décision, la science doit pouvoir, en priorité, s’appuyer sur des données probantes disponibles. De nombreux forums et comités existent également comme le Comité de coordination de la recherche au Canada, la Communauté des sous-ministres des sciences et de la technologie etc.
Avec l’expérience acquise depuis 8 ans maintenant, la Dre Mona Nemer a dressé un bilan positif : bien accepté, le BCSC a su gagner le respect et la confiance tant du politique que des citoyens. Selon elle, il faut donc aujourd’hui s’atteler à consolider ce rôle, en pérennisant son impact par la législation notamment pour renforcer son indépendance tout en améliorant son intégration dans l’architecture gouvernementale (définir clairement le rôle de la CSC dans la coordination des avis notamment en situation d’urgence, définir son rôle à l’international…). Enfin, elle souhaite renforcer la collaboration entre le niveau fédéral, provincial et territorial. De fortes disparités existent dans les fonctionnements et l’idée n’est pas d’uniformiser mais de mieux collaborer, de partager les données probantes, surtout lorsque les sujets ou les éventuelles crises concernent tout le pays.
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