Au moment où les décisions politiques doivent s’appuyer sur des connaissances solides et actualisées, le rôle du conseil scientifique au sein des institutions parlementaires s’avère essentiel. Comment intégrer efficacement l’expertise scientifique dans le processus législatif ? Quels sont les défis et les opportunités de cette collaboration entre science et politique ? Dans ce webinaire du 2 avril 2025, Marc Schiltz, responsable de la Cellule scientifique de la Chambre des Députés du Luxembourg, présente les enjeux pratiques, les défis et les opportunités du conseil scientifique auprès d’un parlement, par une structure spécialisée, interne et dédiée.
L’intervenant est revenu sur les prémices du conseil scientifique dans l’administration luxembourgeoise, mis en place à la suite d’un programme de jumelage réussi, réunissant des chercheurs et les décideurs politiques entre 2016 et 2017. Cette initiative visait à rapprocher les mondes du savoir et du droit, combler le fossé entre les connaissances scientifiques et les décisions législatives, en favorisant la collaboration entre experts scientifiques et décideurs publics, en fournissant des conseils fondés sur des preuves aux responsables politiques. C’était aussi une plateforme d’échanges et d’interactions entre chercheurs et parlementaires, dans le but de promouvoir des politiques publiques s’appuyant sur des données scientifiques solides et actualisées.
Missions, valeurs et fonctionnement de la Cellule scientifique
La Cellule scientifique, l’une des 16 unités de la Chambre des députés du Luxembourg, voit le jour en 2021, avec pour vocation d’informer les parlementaires et l’administration parlementaire à chaque étape du processus législatif. Elle intervient dans la définition des priorités et dans l’accompagnement du travail législatif, en apportant un éclairage scientifique pertinent. Elle use d’une approche pédagogique pour vulgariser et transmettre les savoirs scientifiques de manière claire et accessible, pour que les élus puissent s’en approprier le plus facilement possible.
La démarche de la Cellule repose sur l’objectivité, l’impartialité et l’indépendance, avec la volonté de présenter l’état actuel des connaissances scientifiques sans parti pris. L’unité scientifique se consacre à des activités variées, comprenant l’expertise et la recherche, dont les résultats prennent souvent la forme de documents remis aux députés, aux comités ou au président de la Chambre des Députés. Elle participe aussi aux travaux académiques, aux collaborations internes, aux échanges de bonnes pratiques en matière de politiques publiques, ainsi qu’à l’organisation d’événements, de conférences et de projets de coopération.
Transparence, équité et intégrité des processus de conseil
Pour le respnsable de la Cellule scientifique, la transparence, l’équité et l’intégrité sont des principes essentiels au bon fonctionnement du Conseil scientifique formel, dont la vocation publique doit être pleinement assumée. Les conseils informels, lorsqu’ils échappent à un cadre clair et transparent, présentent un risque d’utilisation inappropriée et doivent être encadrés avec vigilance. Le processus de réexamen et de révision des travaux scientifiques repose sur des procédures adaptées, sans nécessiter de comité interne spécifique, garantissant ainsi un contrôle qualité rigoureux.
Des chercheurs externes peuvent être mobilisés pour des projets particuliers, grâce aux réseaux universitaires actifs au Luxembourg et à l’étranger auxquels la Cellule scientifique est reliée. La confidentialité des documents est assurée selon la volonté du parlementaire à l’origine de la demande, et les avis scientifiques sont systématiquement examinés en comité avant d’être rendus publics, dans le respect des procédures et exigences parlementaires.
L’intégrité scientifique constitue un enjeu central dans le processus décisionnel. Il est indispensable de privilégier la qualité des recherches, de garantir la diversité des perspectives scientifiques et de mettre en place un processus de relecture exigeant, afin d’assurer la fiabilité des travaux destinés aux parlementaires. Bien qu’il s’agisse d’une structure permanente, la Cellule scientifique travaille régulièrement en collaboration avec des experts extérieurs sélectionnés en fonction des thématiques et des besoins. Cette organisation se reflète notamment dans l’intégration d’avis scientifiques au sein de projets législatifs récents, tels que la réforme constitutionnelle ou celle du système de retraite, démontrant ainsi l’importance stratégique de ce dispositif dans l’accompagnement des travaux parlementaires. Bien que la Cellule bénéficie d’un financement direct via le budget de la Chambre des Députés, elle reste impartiale et indépendante vis-à-vis du politique dans son travail de Conseil.
Enjeux du conseil scientifique au Parlement
L’intervenant, Marc Schiltz, a évoqué les défis spécifiques auxquels sont confrontés les conseillers scientifiques au Parlement du Luxembourg. Il a insisté sur la nécessité d’établir une relation de confiance et de compréhension mutuelle entre l’unité scientifique et les décideurs politiques, indispensable pour permettre un échange fluide et constructif d’informations.
La transparence dans la production scientifique et la communication des résultats est nécessaire, notamment face à des sujets complexes et des conclusions nuancées qui exigent rigueur et précision. De la même manière, l’indépendance des recherches doit être préservée, afin de garantir la crédibilité du travail mené.
Le conseil scientifique au sein du parlement fait également face à plusieurs enjeux sociétaux, notamment la désinformation et la nécessité de lutter contre les atteintes à l’intégrité de la recherche. Face à cela, le conseiller scientifique doit veiller à maintenir l’impartialité et à distinguer clairement les faits des jugements de valeur et des normes.
La vidéo intégrale du webinaire est disponible ici.
A propos de l’intervenant
Marc Schiltz dirige le service du conseil scientifique auprès de la Chambre des députés du Luxembourg. Titulaire d’un doctorat en en sciences (cristallographie) de l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay) et d’un Executive MBA de l’INSEAD, il a exercé les fonctions de chercheur et d’enseignant-chercheur dans plusieurs pays européens (France, Royaume-Uni, Suisse) pendant plus de vingt ans, avant d’orienter sa carrière vers des fonctions de direction et de pilotage stratégique de la recherche dans le cadre d’institutions publiques et internationales. De 2011 à 2023, il a dirigé le Fonds National de la Recherche du Luxembourg (FNR) qui est l’établissement public de financement et de pilotage de la recherche au Luxembourg. En 2019, il a dirigé l’initiative menant à une actualisation des priorités nationales de recherche dans le cadre d’un effort conjoint avec le ministère l’Enseignement supérieur et de de la Recherche afin d’établir la future stratégie de recherche et d’innovation pour le Luxembourg.
De 2017 à 2023, il a également été président de Science Europe, l’association faîtière des principaux organismes nationaux de financement de la recherche en Europe. Dans ce rôle, il a contribué à forger l’agenda européen pour favoriser la science ouverte et a été l’un des architectes de la proposition de réforme du système d’évaluation de la recherche qui a abouti fin 2022 à la constitution de la coalition internationale CoARA dont le but est de développer une vision commune pour la réforme de l’évaluation de la recherche et qui compte aujourd’hui plus de 750 universités, organismes et institutions de recherche à travers le monde. De 2017 à 2023, il a aussi siégé au conseil de gouvernance du Global Research Council, qui regroupe les dirigeants des organismes publics de financement de la recherche du monde entier.
Défenseur des bonnes pratiques de recherche, il était le principal artisan de la création en 2016 de la Luxembourg Agency for Research Integrity, dont il a été le président-fondateur pendant cinq ans. Marc Schiltz s’est aussi beaucoup engagé dans la promotion de la culture scientifique et il contribue activement au dialogue entre la communauté scientifique et les décideurs politiques. Il a notamment contribué à la mise en place d’un programme d’échange entre les chercheurs et les membres du parlement luxembourgeois, qui a abouti à la création d’un structure permanente de conseil scientifique auprès du parlement – structure dont il est aujourd’hui le directeur.