Les parlementaires ont besoin de données objectives pour leur travail législatif, mais les ressources internes sont souvent insuffisantes. Ils font appel à des chercheurs externes, favorisant un échange entre le monde scientifique et politique. Cela a le potentiel d’améliorer la compréhension des enjeux, permettant des décisions politiques éclairées et basées sur la science.
La table ronde intitulée « Soutien d’organisations extra-parlementaires à la mobilisation de la science – Science for Policy », organisée par le RFICS et la Cellule scientifique de la Chambre des députés du Luxembourg lors de la session de travail du 6 mars 2025, explorait les meilleures manières d’allier science et politique par des structures externes aux parlements. Modérée par Prof. Lucien HOFFMANN, Président de la Section des sciences de l’Institut grand-ducal et Directeur scientifique du Luxembourg Institute of science and Technology (LIST), elle faisait intervenir Laetitia RAMELET de TA-Swiss, Jean-Paul BERTEMES pour le Fonds National de la Recherche (Luxembourg), et Prof. Philippe POIRIER, de la Chaire de recherche en études parlementaires du Luxembourg.
Réduire le fossé entre science et politique
Le Prof. Lucien Hoffmann a souligné l’importance de réduire le fossé entre la connaissance scientifique et l’action politique. Selon lui, la science fournit des données probantes essentielles pour comprendre des problématiques complexes, prédire les impacts de décisions et évaluer les solutions possibles. Il a illustré cette idée en citant la gestion de la crise du COVID-19, où la recherche scientifique a permis de développer des vaccins et d’anticiper les effets sociaux et économiques des décisions politiques.
Cependant, l’intégration de la science dans les décisions politiques est complexe en raison de l’incertitude des données scientifiques et du décalage temporel avec les besoins immédiats des politiques publiques. Le changement climatique illustre ce défi, et l’expert plaide pour des plateformes de communication entre chercheurs et décideurs, et pour la recherche translationnelle, afin d’appliquer concrètement les connaissances scientifiques.
Le rôle de TA-SWISS dans le processus de conseil
Dr. Laetitia Ramelet a partagé son expérience à TA-SWISS, une organisation dédiée à l’évaluation des technologies au service du Parlement suisse. Fondée en 1992, TA-SWISS évalue les opportunités et les risques des nouvelles technologies, en mettant en lumière des scénarios et des options d’action sans imposer de solutions aux politiques. Cette institution indépendante est financée par la Confédération suisse et fait partie des académies suisses des sciences. TA-SWISS a été inspirée par l’expérience des États-Unis, où la séparation entre le progrès technique et l’éthique a conduit à la création d’un organisme similaire. L’objectif était d’éviter l’asymétrie d’information qui pourrait déséquilibrer le pouvoir entre le gouvernement et le parlement.
Ramelet a expliqué que l’impact des études de TA-SWISS est difficile à mesurer, mais il peut être observé lorsque leurs travaux sont entendus en commission ou cités par les parlementaires. Elle a également abordé les défis liés à la réalisation d’études à moyen ou long terme. En effet, la science avance constamment, et il est possible que les préoccupations sociétales évoluent pendant que les recherches sont en cours. Les études doivent donc être choisies en fonction de critères tels que leur applicabilité à long terme et leur interdisciplinarité.
Par ailleurs, Ramelet a mentionné que la transparence et l’indépendance sont essentielles dans la relation entre TA-SWISS et le parlement. Bien qu’ils ne cherchent pas à être neutres, leur objectif est de rester équilibrés et de créer des liens utiles pour la prise de décision. Elle a également évoqué un cas où une étude a été rejetée et transformée en une note. L’objectif est de prévenir les problèmes en amont pour s’assurer que les recommandations de l’étude restent pertinentes.
Une collaboration plus fluide avec « Science for Policy »
Jean-Paul Bertemes du Fonds National de la Recherche (FNR) a présenté l’initiative « Science for Policy« , un programme visant à combler le fossé entre le monde scientifique et le monde politique. Le FNR soutient la recherche à travers quatre piliers : événements, financement, médias, et formation des chercheurs à la communication. Cette initiative a débuté avec le programme « Research meets politics », où chercheurs et parlementaires se rencontrent, même si certains craignaient que cela puisse être perçu comme une tentative des scientifiques d’influencer la politique.
Cette initiative a abouti à la création de la cellule scientifique en 2021 et à la signature d’un Memorandum of Understanding (MoU) en 2022, qui institutionnalise les échanges entre la science et la politique. Le MoU organise des événements de « pairing », fournit des contacts entre scientifiques et décideurs, et diffuse des connaissances scientifiques adaptées au public. Bertemes a expliqué que les défis de communication entre les deux mondes nécessitent une constante adaptation, en particulier en période de crise, comme pendant la pandémie de COVID-19. Il a souligné qu’en rencontrant les politiques, les scientifiques réalisent que leur tâche est chronophage et qu’ils doivent adapter leur communication aux besoins des décideurs.
Le FNR utilise également les médias sociaux pour promouvoir ces échanges, en créant des vidéos et des carrousels afin d’adapter la science à un large public. Bertemes a insisté sur le fait qu’il n’existe pas de méthode unique de communication, et que chaque situation exige une approche spécifique. En période de crise, par exemple, la science doit être communiquée de manière flexible et réactive.
Garantir la fiabilité des recherches pour une meilleure conciliation avec le politique
L’une des préoccupations majeures dans l’intégration de la science à la politique demeure la fiabilité des recherches. Lorsqu’il s’agit d’évaluer des technologies, comme dans le cadre de l’évaluation technologique (TA), il est essentiel d’imaginer des scénarios optimaux pour l’utilisation des technologies. Cependant, les technologies ne sont pas toujours utiles et peuvent parfois ne pas répondre aux attentes. Les experts soulignent la nécessité de s’entourer de l’évaluation par les pairs pour garantir la qualité des recherches. Le Prof. Hoffmann et Dr. Laetitia Ramelet ont affirmé que la rigueur scientifique doit primer. Selon eux, il est crucial de ne pas être « pris en otage » par la technologie elle-même, mais de garantir qu’elle soit réellement adaptée aux besoins politiques.
En somme, que ce soit à travers l’expertise fournie par TA-SWISS en Suisse ou l’initiative Science for Policy au Luxembourg, les collaborations entre chercheurs et décideurs sont un pas crucial vers des décisions plus éclairées et adaptées aux réalités sociétales. Comme l’ont souligné les experts, la transparence, l’indépendance et l’interdisciplinarité sont des éléments clés pour garantir que la science puisse jouer son rôle dans la construction d’un avenir plus informé et plus durable. Mais pour que cette collaboration soit véritablement fructueuse, il est nécessaire d’adapter la communication scientifique aux besoins spécifiques des parlementaires, tout en veillant à ce que les données soient accessibles, compréhensibles et utiles.