Mieux communiquer la science : relever le défi du dialogue entre chercheurs et décideurs

Le dialogue entre scientifiques et décideurs politiques est complexe en raison de langages différents, freinant l’appropriation des connaissances. La « science de la communication de la science » étudie ces interactions pour améliorer leur efficacité. La table ronde intitulée « Modes de communication de la science», organisée par le RFICS et la Cellule scientifique de la Chambre des députés du Luxembourg lors de la session de travail du 6 mars 2025, explorait les meilleures stratégies pour transmettre aux parlementaires des informations scientifiques claires et pertinentes. 

Modérée Hanna SIEMASZKO de SciLux, elle faisait intervenir Thomas LARUE de Riksdag Suède, Léa VITALI du Service de recherche du Parlement européen (EPRS), et Carole CLOSENER de la Chambre des Députés du Luxembourg.

Adapter le message : Clarification et simplification

Selon les panélistes, l’un des défis majeurs dans la communication scientifique est de rendre des sujets complexes compréhensibles pour des non-experts, qu’ils soient parlementaires, journalistes ou citoyens. En effet, même lorsque la communication scientifique est bien faite, l’information reste souvent perçue comme une donnée parmi d’autres dans la vie des individus. Le message scientifique doit être clair, percutant, et adapté à l’audience visée.

Hanna Siemaszko, créatrice du podcast SciLux, a partagé son objectif de rendre la science intéressante et accessible à un public qui n’est pas nécessairement formé en sciences. En interviewant des chercheurs, elle a pu constater un intérêt croissant pour la vulgarisation scientifique, notamment au Luxembourg. Mais même avec un contenu bien présenté, il reste crucial de tenir compte du contexte dans lequel l’information est transmise. Les émotions, les croyances et les valeurs de l’audience jouent un rôle déterminant dans la manière dont l’information est perçue et intégrée.

Il ne suffit pas d’énoncer les faits, mais d’adapter la présentation à l’environnement dans lequel ils seront reçus. Cela implique une prise en compte des spécificités culturelles, politiques et sociales de chaque groupe cible. Pour les parlementaires, par exemple, les messages doivent être déclinés de manière à leur permettre de comprendre rapidement l’impact des découvertes scientifiques sur les politiques publiques. Les recherches doivent être contextualisées pour mettre en lumière leur pertinence et leur application directe dans les décisions politiques.

Une bonne pratique est d’intégrer le storytelling, en racontant des histoires concrètes sur l’impact des découvertes scientifiques dans la vie quotidienne des citoyens. Il est crucial de rendre tangibles les effets potentiels de ces découvertes pour que les décideurs puissent se projeter dans la réalité de ces changements. De plus, pour éviter toute confusion, il est important d’adapter la sémantique et de définir clairement les termes scientifiques. En effet, de nombreux termes techniques peuvent se révéler des obstacles à la compréhension. Par exemple, une note sur la réforme constitutionnelle peut inclure des termes juridiques ou techniques qui nécessitent une explication simple et concise.

L’importance de la collaboration et de l’adaptabilité des formats

La science ne se fait jamais de manière isolée. Chaque découverte repose sur des travaux antérieurs et se construit à travers une collaboration constante avec d’autres chercheurs, mais aussi avec des acteurs externes, comme les décideurs politiques. C’est dans cet esprit de collaboration qu’il devient essentiel d’adopter une approche de communication qui dépasse les frontières des disciplines scientifiques et des pratiques politiques. La vulgarisation scientifique ne doit pas se limiter à la simple transmission de faits ; elle doit également engager un dialogue continu entre chercheurs et décideurs.

L’European Parliamentary Research Service (EPRS), par exemple, est un service du Parlement européen qui fournit des analyses et des informations factuelles aux parlementaires pour les aider à prendre des décisions éclairées. Ce service, fort de 200 analystes et chercheurs, a su s’adapter aux évolutions technologiques et médiatiques pour rendre ses informations plus accessibles. Léa Vitalli, une experte en communication scientifique au sein de l’EPRS, souligne l’importance de la clarté, de l’accessibilité et de l’exploitation des nouveaux formats comme les podcasts ou les vidéos éducatives pour diffuser les informations auprès des parlementaires. Ces nouveaux formats permettent de toucher un public plus large et d’augmenter la visibilité de la science dans les discussions politiques.

Les stratégies de communication doivent désormais prendre en compte les nouveaux canaux numériques : les plateformes comme Spotify, YouTube, ou même les réseaux sociaux comme X (anciennement Twitter), sont devenus des outils incontournables. Cette évolution des canaux de diffusion permet aux chercheurs et aux communicants de diversifier les moyens de rendre la science plus compréhensible et accessible. Mais il est également essentiel d’adopter une ligne éditoriale stricte, qui garantit que les informations sont toujours pertinentes et en phase avec les priorités politiques des décideurs.

Un autre aspect important de la communication scientifique est l’anticipation de la désinformation. La diffusion de fake news et la propagation de malentendus peuvent nuire gravement à la prise de décision éclairée. Il est donc crucial de ne pas cacher les incertitudes liées aux découvertes scientifiques. Les chercheurs doivent être transparents, et lorsqu’ils ne savent pas quelque chose, ils doivent le dire. Cela renforce la confiance dans les informations transmises et permet aux décideurs d’effectuer des choix plus réfléchis et fondés sur des bases solides.

Comprendre les besoins spécifiques des décideurs et des parlementaires

Les parlementaires, en particulier, sont souvent confrontés à un flux massif d’informations provenant de multiples sources. Il est donc essentiel d’adapter la manière dont la science est présentée pour faciliter leur compréhension et leur prise de décision. Le Secrétariat d’Évaluation et de Recherche (SER) du Parlement suédois, dirigé par Thomas Larue, illustre l’importance de cette approche. Au sein de ce service, la recherche est principalement sollicitée pour fournir des analyses avant que les propositions de lois ne soient présentées au parlement. Les rapports doivent être courts, directs, et axés sur les éléments les plus pertinents, permettant aux parlementaires de prendre des décisions informées en peu de temps.

Carole Closener, du service des communications à la Chambre des Députés du Luxembourg, met également l’accent sur la nécessité de rendre la science plus pragmatique et directement applicable pour les décideurs. Les parlementaires veulent des réponses rapides et opérationnalisables, mais les chercheurs savent que l’application immédiate de certaines découvertes scientifiques est souvent impossible. Cela peut mener à des frustrations, d’autant plus que le langage utilisé par les scientifiques diffère souvent de celui des politiciens. Trouver un terrain d’entente, où les chercheurs peuvent traduire les résultats scientifiques dans un langage plus accessible, est essentiel pour éviter des malentendus.

Dans ce cadre, il est aussi crucial que les chercheurs comprennent les préoccupations spécifiques des décideurs politiques. Les enjeux politiques et économiques influencent souvent la manière dont les informations scientifiques sont perçues. Le travail en collaboration, le choix des sujets pertinents et l’ajustement des formats sont autant d’éléments qui contribuent à une communication scientifique plus efficace et productive.

En somme, rendre la science accessible et adaptée aux enjeux politiques favorise des décisions éclairées. Cela nécessite une vulgarisation stratégique efficace, une collaboration étroite avec les parties prenantes, et l’utilisation d’outils numériques et transparents. Pour que la science guide les politiques, les informations doivent être claires, pertinentes et utiles aux décideurs.

Facebook
Twitter
LinkedIn

Antoine Rauzy

Antoine Rauzy a une expérience de plus de 20 ans en pédagogie numérique et en relations internationales. Il partage son temps entre Sorbonne Université et l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), à Paris. Il a commencé sa carrière comme enseignant-chercheur, mathématicien à l’institut de mathématiques de Jussieu. Il est responsable d’action à l’ANR, agence française de financement de la recherche, et expert international en enseignement numérique. Il est membre du réseau européen HERE (Higher Education Reform Experts) et a siégé au conseil d’administration de plusieurs associations internationales sur ce sujet. 

Par ailleurs, Antoine a été en poste à l’ambassade de France au Canada sur les dossiers universitaires et scientifiques et a conseillé deux présidences d’université sur les questions internationales. Il a été associé à plusieurs négociations internationales sur des sujets universitaires et scientifiques à forts enjeux diplomatiques.