Le 5 mars 2025, le Réseau francophone international en Conseil scientifique (RFICS) a organisé un webinaire sur la manière dont le conseil scientifique s’articule dans les sphères de la coopération internationale et de la diplomatie, avec comme invité Monsieur Jean-François Doulet, attaché de coopération scientifique et universitaire à l’ambassade de France au Canada.
Animée par Madame Victorine Ghislaine Nzino Munongo, chercheuse au Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation du Cameroun, la conférence a permis d’explorer en profondeur les dynamiques actuelles entre la science et la diplomatie, dans un contexte mondial marqué par des tensions géopolitiques croissantes et une politisation accrue de la science.
Changement de paradigme : la politisation de la science
Un phénomène marquant de ces dernières années est l’intensification de la politisation de la science. Ce processus se manifeste par une intégration de plus en plus forte de la science dans les débats publics, que ce soit à travers des publications traitant de sujets scientifiques et politiques, des déclarations internationales, ou encore des mouvements sociaux. La science n’est plus un domaine isolé et apolitique ; elle devient un outil au cœur des discussions géopolitiques et stratégiques mondiales.
Jean-François Doulet a observé que cette politisation entraîne un changement de paradigme dans notre rapport à la science et à la technologie. Ce changement se traduit par deux visions opposées : d’un côté, la science est perçue comme une protection contre les grands défis contemporains tels que l’environnement, la santé et l’économie ; de l’autre, elle est envisagée comme un moyen de façonner l’avenir de l’humanité dans une perspective technophile, parfois même au service d’intérêts politiques et économiques spécifiques.
Dans ce contexte, la diplomatie scientifique, traditionnellement menée de manière unilatérale par les États, doit évoluer pour inclure une multitude d’acteurs scientifiques et politiques, capables de défendre l’intégrité scientifique tout en prenant en compte les enjeux géopolitiques mondiaux.
Repenser la diplomatie scientifique : une nouvelle approche multidimensionnelle
En 2025, la relation entre la science et la diplomatie a radicalement changé. Contrairement aux modèles précédents — « la science pour la diplomatie », « la diplomatie pour la science », et « la science dans la diplomatie » — une nouvelle approche émerge qui tend à intégrer la diplomatie dans la science elle-même. Ce renversement de paradigme repose sur une vision plus complexe de la diplomatie scientifique, qui ne se limite plus à une relation binaire entre deux univers distincts, mais qui se nourrit d’une interaction dynamique entre les gouvernements, les institutions académiques, les chercheurs, les organisations internationales et même la société civile.
Dans cette nouvelle ère, la diplomatie scientifique n’est pas seulement l’affaire des États. Elle implique des universités, des communautés de chercheurs, des associations et des réseaux qui se mobilisent pour la défense de la science en tant que bien commun et pour promouvoir une gouvernance scientifique au service de l’humanité, loin des influences et des logiques de pouvoir qui traversent les débats géopolitiques.
Les quatre régimes d’action en diplomatie scientifique : une vision stratégique
Jean-François Doulet a proposé un cadre stratégique innovant pour la diplomatie scientifique, en introduisant quatre « régimes d’action » qui reflètent les dynamiques géopolitiques actuelles et les interactions entre coopération et compétition, ouverture et fermeture. La diplomatie scientifique idéelle favorise des échanges harmonieux et des alliances pour une recherche conjointe, profitant à toutes les parties. La diplomatie scientifique de crise intervient lors de grands événements internationaux, où les scientifiques cherchent des solutions globales face à des enjeux urgents, tels que le changement climatique ou les pandémies, en soulignant l’importance de la coopération. La diplomatie scientifique affinitaire émerge entre pays partageant des intérêts communs, mais peut conduire à une forme de fermeture, limitant la collaboration à des objectifs spécifiques. Enfin, la diplomatie scientifique souveraine défend les intérêts nationaux, faisant de la science un outil de pouvoir au service des priorités géopolitiques d’un pays, pour maximiser son influence internationale.
La diplomatie scientifique comme conseil géostratégique
La diplomatie scientifique est désormais un outil de conseil géostratégique essentiel, facilitant la collaboration internationale, soutenant les initiatives de recherche et permettant la circulation des idées et des talents. Elle devient un levier stratégique pour renforcer la position des nations dans le monde. Cette diplomatie doit intégrer la culture scientifique, l’expérience internationale et les enjeux politiques mondiaux, pour renforcer les capacités diplomatiques des États. La science, au-delà d’un moteur de progrès, devient une ressource stratégique cruciale pour l’avenir des sociétés. En parallèle, l’implication des scientifiques dans les débats publics et politiques devient essentielle. Jean-François Doulet souligne que les scientifiques doivent jouer un rôle central dans les processus décisionnels, défendre l’intégrité scientifique et s’affirmer comme des interlocuteurs privilégiés face aux enjeux géopolitiques, contribuant ainsi à façonner un avenir commun.
Le webinaire a mis en évidence l’évolution de la diplomatie scientifique, devenue un levier stratégique dans les relations internationales. Face aux enjeux géopolitiques et mondiaux, elle doit inclure tous les acteurs scientifiques et s’adapter aux défis globaux, tels que la préservation de la planète et la santé mondiale.
L’intégralité du webinaire est disponible ici.